Carnet de route

Quatre jours en vallée de Vicdessos. Poésie de la toponymie ariègeoise.

Le 24/08/2014 par Jean Claude Loulmet

 Quatre jours en vallée de Vicdessos. Poésie de la toponymie ariègeoise.
 

 


 

        Longtemps, les hauts escarpements du Vicdessos ont été pour moi l'unique référence montagnarde.                          

       Et à l'aube de cette journée de fin du mois d'août, nous voici, la solide équipe du CAF de l'Angoumois, rassemblés sur l'aire de stationnement de l'Artigue. C'est ici que commence le boulevard, qui, par le refuge du Pinet, conduit les randonneurs au sommet emblématique de la vallée de Vicdessos: le Montcalm. Et le Montcalm, c'est ce lieu rigoureusement désert, qu'un jour, encore adolescent, j'avais un peu miraculeusement atteint, mu par une seule force, celle que secrétait ma volonté de percer toujours le mystère de contrées inconnues que je supposais merveilleuses.L'aventure avait débuté à l'antique "Refuge du Montcalm", une bâtisse en bois à présent disparue, ouverte à tous, assez coquette à l'extérieur, un peu sordide à l'intérieur. Il y avait là un panneau qui, avec une sobriété comminatoire indiquait: "Montcalm 6 heures". Et puis, dans un crescendo d'enchantement, mon cheminement plein d'incertitude avait traversé de nombreux pays, dont j'allais bientôt mémoriser définitivement les noms, et qui composaient alors la mythologie aujourd'hui quelque peu oubliée de l'ascension de cette montagne: "Fontanal",  "Pujol", "Subra", les "Tables de Montcalm", la "Canalette" et enfin, la "Plaine", ce dernier terme désignant facétieusement le vaste dôme d'éboulis, peu incliné, qui culmine au point côté 3077,4 , deux mille mètres au-dessus du lieu de départ.

         Dès lors, je fus habité par une sorte de ferveur pour ce massif ariègeois que, des années durant, j'allais fréquenter avec passion et assiduité, m'efforçant d' en gravir tous les sommets, d'en parcourir toutes les crêtes, d'en explorer les vallons les plus confidentiels. Ici, un peu plus qu'ailleurs, les endroits les plus sauvages, les plus ignorés, ont reçu un nom, hérité de l'omniprésence, au cours des derniers siècles, d'une intense activité pastorale dans cette montagne. Et c'est la musique distillée par ces noms à tonalité occitane qui, ce matin, envahit mon esprit.

                   Pic Rouge de Bassiès. (2676m).

 

 


                L'Artigue, c'est aussi le départ du vénérable sentier du "Port de l'Artigue", lointaine échancrure lumineuse dans cette montagne austère que jadis voyageurs et contrebandiers franchissaient pour rallier Tabascan, le plus proche village espagnol, et qui permet de nos jours aux piétons de la HRP d'effectuer la rude jonction entre Mounicou et le refuge du Certescans. Aujourd'hui, c'est une bribe de ce chemin que nous allons suivre, car l'objet de notre excursion est le sommet que les montagnards locaux, féminisant ainsi affectueusement l'appellation officielle fournie par l'IGN, nomment: la Pique Rouge de Bassiès.

        Avec cette lenteur sereine propre aux débuts de courses, imprégnée du plaisir primitif de progresser vers le haut, nous effectuons, andante cantabile, nos premiers pas: une rampe raide sous un couvert de noisetiers qui nous élève de deux cent mètres, la bifurcation du Moulinas, les granges ruinées de Peyre et la passerelle de Terre-Rouge que nous ne franchirons pas. C'est en effet vers le nord que nous devons désormais diriger nos pas, d'abord vers des falaises un peu intimidantes qu'une sente ingrate, encombrée d'une végétation gorgée d'eau, nous permet d'esquiver par la droite.  Les perspectives visuelles s'élargissent et vers l'ouest, le regard embrasse dorénavant l'intégralité de la haute vallée de l'Artigue. Et très vite, les noms de ses lieux-dits autrefois occupés par les bergers résonnent dans ma mémoire: "Mespelat", "Légunes"," Borgne-Boucaire", "Ayguenouille"... La rencontre avec le soleil coïncide    avec notre incursion dans l'univers exclusivement minéral de la montagne de Bassiès. Il nous suffit désormais, sur la ligne inflexible de la plus grande pente, de remonter longuement le cirque de la Raspe en longeant par la gauche les parois noires de l'éperon du pic de Belcaire. Sur le haut, la traversée de grandes dalles faites d'un granite d'une blancheur éclatante, la proximité de l'objectif, rendent la progression jubilatoire. Notre convoitise est maintenant assouvie. Nous sommes sur le sommet de la Pique Rouge. Les nuages qui accrochent les plus hautes cimes, le vent glacial qui nous contraint à nous recroqueviller pour nous restaurer, altèrent un peu le charme du panorama proposé par ce belvédère. Mais, il subsiste toujours, son avant-goût de l'infini...

              C'est peut-être au retour, lorsqu'on se laisse glisser doucement vers le fond de l'Artigue ,que la beauté du spectacle atteint son apogée. Longtemps, par-dessus des nuées intermittentes qui flottent dans l' air, l'oeil demeure invinciblement accroché au formidable versant nord du Montcalm, qui peu à peu, au gré de la descente, nous expose sans parcimonie sa multitude de détails qui ravivent en moi des souvenirs maintenant anciens: la crête qui, par les Roches Sauvages, court du Cap de Desse à la Pointe de Montcalm, les Guins de l'Ase, les cuvettes formées par les étangs d'Estats, du Pinet et Sourd, les sites d'orrys de Bang, Bazurs et Nouzère, l'immense balafre taillée par la profonde gorge du ruisseau d'Estats...

                             

                                      

 

                                                           Les forêts du Vicdessos.



           Le mauvais temps qui sévit pendant les deux journées suivantes nous dissuade d'entreprendre

l'ascension d' un sommet. Qu'importe. Les versants qui dominent notre lieu d'hébergement sont, dans leur partie inférieure, tapissés par de magnifiques forêts, des trésors que nous allons visiter. A chaque fois, c'est de notre gîte que nous partirons, de Marc, au confluent où les vallées de Soulcem et de l'Artigue mêlent leurs eaux pour former le Vicdessos.
          Nous empruntons d'abord le moelleux sentier du GR10 qui nous élève en pente douce dans l'épais bois de la Prunadière constellé de champignons de toutes sortes, vers le refuge du même nom. Parfois, une trouée dans le manteau de nuages nous offre ,à travers les sapins, la vision fugitive et quelque peu chimérique de l'archipel formé par les cimes décharnées du massif de Bassiès qui, lointaines et inaccessibles, émergent pendant de courts instants au-dessus de l'océan des brumes qui nous enveloppent. Ensuite, le chemin parvient à la lisière de la vallée d'Artiès, puis perd de la hauteur. On rencontre alors un intriguant aqueduc dont le tracé, par une longue course horizontale, nous ramène à Marc.

         Le lendemain, c'est sur la rive gauche du Vicdessos que nous nous rendons. Nous dépassons Remoul, le dernier des hameaux traversés, et nous nous insinuons dans la splendide sapinière du Gaffouil où une sente un peu secrète serpente voluptueusement jusqu'à atteindre, quatre cent mètres plus haut, une zone découverte occupée par un refuge privé. Lorsque le soleil brille, cette clairière, dans son écrin arboré qui décline toute la palette des verts, le blanc étincelant de la roche du pic de Sauve qui la surplombe, le chalet aux couleurs sombres avec sa petite fontaine, composent un tableau d'une harmonie absolue. On pourrait s'échapper de ce lieu par une admirable sente en balcon qui, vers l'ouest, à travers pins, sapins, mélèzes, épicéas, livre l'accès à un autre territoire: le cirque des étranges Lavants de Belcaire, un vaste plan incliné de granite, sillonné de thalwegs parallèles d'une stupéfiante régularité, qui, des alpages de Belcaire, s'élève jusqu à la crête dentelée du Sarrat de Montestaure. Mais il est un peu tard pour effectuer ce détour. Aussi nous nous contentons de pousser jusqu'au pied des proches falaises qui ferment le vallon oublié d'Argensou, à l'endroit où les orrys de Casque, s'enlisant peu à peu dans la végétation, semblent s'endormir dans un rêve sans fin.

 


                                  Pic Sud de Canalbonne. (2849m)

           Quand nous garons nos véhicules au Carla, là où s'estompe vers le sud la nappe du barrage de Soulcem, nous savons que la journée sera belle. Nous sommes au seuil de l'auge de Soulcem, archétype géographique de la vallée glaciaire, colossal amphithéâtre couronné par des sommités d'égale élévation, entre deux mille huit et deux mille neuf. Les pâturages y sont considérables et les vieux villages d'orrys, innombrables. La dizaine de vallons secondaires dont les eaux convergent vers le fond de l'auge sont autant de salles d'un musée gigantesque. Aujourd'hui, c'est vers l'une d' entre elles que nous nous tournons, celle où sont exposées les quatre vasques des étangs de la Gardelle. On y accède par l'escalier le plus proche, le ravin de la Gardelle, sévèrement surveillé par la flèche élancée du pic de la Madelon, gardienne magnifique du monument.

           Ainsi, nous avons d'emblée à surmonter cet âpre ressaut de cinq cent mètres de haut, par un sentier dont la déclivité ne fait jamais de concession. Mais nous possédons le tempo mesuré, l'économie du geste, de ceux qui savent leur montagne, et c'est avec aisance que nous exécutons ce prélude austère. Nous découvrons alors ce que les géographes appellent un ombilic, délicieuse cuvette à fond plat façonnée par les glaciers, dont le pacifisme de la forme contraste avec le tumulte des torrents qui, de toutes parts, y précipitent leurs eaux. Il y a là un orry restauré, fermé à clef, avec sa source. Puis, prenant de l'altitude dans un décor qui se fait plus minéral, nous abordons le domaine lacustre de la Gardelle. Le plus élevé des quatre étangs, qui est aussi le plus étendu, joue la partition ,d'un grand classicisme mais toujours envoûtante, du lac de haute montagne : la nappe horizontale au bleu profond, encerclée par la verticalité de la roche rougeâtre de la Pointe de Roumazet exerce sûrement, chez tous ceux qui la contemplent, la même fascination. Le sentier balisé poursuit encore un peu son cours, pour bientôt s'achever près d'un dernier bassin aux eaux cristallines, sur les berges duquel persiste un névé encore durci par la fraicheur matinale, et qui porte le nom du monde nouveau dans lequel nous pénétrons: c'est l'étang de Canalbonne, dans sa combe solitaire, au pied de sombres et abruptes parois qui descendent de la crête déchiquetée de la frontière espagnole. Canalbonne, c'est le terme générique pour désigner cette montagne méconnue qui occupe les abords méridionaux du pic d'Estats, pavée de schistes et de gneiss ferrugineux, où la couleur universellement flamboyante de la pierre connait toutes les nuances de l'ocre. Canalbonne, c'est le nom de trois sommets:le 2914 de la carte IGN, et les points anonymes 2957 et 2849. C'est sur ce dernier que nous posons nos pieds, après avoir remonté un ultime vallon courbe aux teintes fauves, précédant un bref parcours de crête. Les nuages ont déserté le ciel , le vent est amical. Aussi, sur ce donjon tranquille qu'effleurent de grands rapaces, nous nous offrons un long et paisible séjour. Du faîte de La Pica, qui au nord, ferme notre horizon, se diffuse jusqu'à nous

l' effervescence du fourmillement humain créé par la suprématie altimétrique et la valeur symbolique du site: le toit de la Catalogne. Sous nos pieds, dans le vallon suspendu de Serre Plénière, dont les eaux s'échappent dans un ravin infranchissable, il y a des êtres pleins de calme qui pensent en silence: les brebis, dans leur étonnante fixité, attendent avec sagesse que faiblisse l'ardeur du soleil pour reprendre leur quête d'herbe rare. Par quel miracle ont-elles donc atteint ce lieu improbable?
                   Le retour est, comme souvent, empreint de la légère mélancolie générée  par la proximité d'une fin de séjour, accentuée par l'obliquité naissante de la lumière d'un mois août expirant, qui nous suggère discrètement que l'été aussi aura une fin.

 


          A l'ombre des tilleuls de la terrasse du café où nous prenons le pot de l'amitié, je songe, comme peut-être chacun d'entre nous, à mon prochain voyage dans une montagne.

 

 

 

 

 

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