Carnet de route

On devient ... (2/2)

Le 15/05/2022 par Matthieu LE GALLO

Mercredi 20 avril 2022, l’anticyclone est toujours présent sur l’arc alpin, mais plus pour longtemps. Le créneau se profile également sur l’agenda de la semaine, c’est donc parti pour quelques heures de route bien matinale afin de retrouver notre ex- plus jeune et plus court président du CAF Angoumois.

C’est aussi l’occasion de voir où en sont les travaux sur la grande diagonale, la RN 145 entre Guéret et Macon. Ce n’est pas encore fini mais cela nous fera gagner du temps très bientôt et le trajet sera peut-être même possible en voiture électrique !

 

Il est 11h30 quand on se retrouve sur le parking de Monsieur bricolage afin de covoiturer ensemble. Quand c’est possible le co-voiturage est important pour aller en montagne. Bon ici il n’aura duré que 50 kms mais c’est déjà ça et çà blablate fort dans le camion,  ça fait quelque temps que l’on ne s’était pas vu et nous n’avons plus les pauses café du boulot pour discuter Montagne désormais…

 

Après avoir fait (un peu trop ?) rapidement les sacs, nous nous asseyons bien tranquillement sur les banquettes du petit train rouge du Montenvers. Cela va faire 10 ans que je ne suis pas revenu dans ce secteur. Cet hiver, les échelles ne sont pas accessibles, il faut pour pouvoir atteindre la mer de glace, emprunter une cabine puis descendre quelques centaines de mètres de dénivelé. Triste état que de voir cette mer de glace, ou plutôt ce qu’il en reste. On abandonne les touristes qui visitent la grotte de glace, et l’on traverse ce qu’il reste de la piste qui débouche de la vallée Blanche.

C’est-à-dire un maigre filet de neige d’un mètre de large sur lequel pousse, fatigués, des touristes en gore tex flambant neuves, et désormais allégés de quelques centaines d’euros.

 

Lors de la traversée de la mer de glace, on arrivera brillamment à se faire tremper les pieds…

Pas d’importance sous le soleil cette après-midi, mais demain matin à 5h du matin à 4000m ?...

Nous accédons au bassin de Talèfre par le couloir central ou ce qu’il en reste, c’est-à-dire un tas de cailloux posé en vrac sur du sable ou des sédiments prêt à rejoindre la mer de glace un peu plus bas.

Une fois cette difficulté passée, nous prenons pied sur la neige pour remonter tranquillement en direction de l’ancien refuge d’hiver du Couvercle.

En effet le refuge classique est en travaux, fermé pour l’hiver et ce printemps. Il devrait bientôt réouvrir en passant de 220 places à 64 . Ce qui devrait laisser un peu d’espace pour le baby-foot, le spa et le jacuzzi prévus...

Nous retrouvons une cordée Italo-austro-hongroise dans ce petit refuge. Le week-end précédent,  il y avait 20 personnes, alors on est plutôt content de notre situation. Ils iront demain faire le couloir Sud du Col Armand Charlet , ce qui nous laisse le champ libre !

L’objectif est en effet d’aller visiter l’Aiguille Verte par son couloir Whymper.

La littérature abonde sur ce sommet et ce couloir :

« L’aiguille Verte est le modèle même du sommet. C’est une pyramide de neige parfaite que tout alpiniste rêve de gravir un jour. […]Grande course de neige […]exceptionnellement, la difficulté réside non pas dans l’ascension mais dans la descente par le même chemin.

Philippe Batoux, les plus belles courses du Mont Blanc.

Il est temps pour nous de faire fondre un maximum de neige afin de remplir nos thermos, de préparer notre soupe et de réhydrater nos lyophilisés.

C’est aussi là que l’on se rend compte du quiproquo qui a eu lieu sur le parking, l’un de nous devait prendre la cartouche de gaz pleine et l’autre devait ranger la seconde cartouche dans le camion.

Des bricoleurs qu’il disait…, en même temps sur le parking de Mr Bricolage…

Par compte, la canette de Leffe de 50cl à 8°, elle on ne l’ a pas oublié !

Coup de bol, il reste 4 ou 5 vieilles cartouches au refuge. Une seule fera l’affaire, pas besoin de demander à nos compagnons de bordée. On décidera sagement que boire une pinte à 8°, la veille d’une belle ascension, en s’étant levé à 4h30 ce matin, ce n’était peut être pas l’idée la plus brillante qu’on aura eu..Elle restera au refuge en compensation du gaz emprunté.

Si nous étions seuls et sans gaz de disponible au refuge, l’ascension n’aurait pas eu lieu... alors la prochaine fois, on sera mieux vigilant sur la cartouche !

On se met d’accord avec l’autre cordée pour un réveil à minuit. C’est-à-dire dans moins de quatre heures. Évidemment leur réveil sonne à 23h30, ce qui ne nous met pas dans une bonne humeur matinale. En effet la demi-heure de sommeil en rab, n’a pas de prix à ce moment-là.

C’est toujours étrange de chausser les crampons si tôt. C’est toujours aussi étrange de remonter ce long glacier de Talèfre. Je ne sais pas si aura recu une bénédiction pour nous permettre cette ascension mais en tout cas, on aura tout fait pour !

En effet la lueur de nos frontales éclairent la base de ces cathédrales de pierres : le Moine, la Nonne, l’Evêque, et le Cardinal.

Nous arrivons sans encombre au pied de la rimaye qui se passe encore bien mais on est fin Avril !

Nous remontons l’itinéraire qui nous paraît le plus logique en suivant plus ou moins les restes de traces. Difficile d’y voir clair au-delà de la portée de notre faisceau lumineux. La lune est sous les nuages. L’important c’est d’avancer. Le couloir Whymper ne présente pas de difficulté, si ce n’est de ne pas se fourvoyer sur les branches connexes. Les premières lueurs de l’aube commencent à nous réchauffer le cœur. Enfin surtout le bout des orteils et des mains. Cela fait longtemps que nous n’avons pas subi d’onglée aussi forte et ça nous arrive au même moment. C’est surement cela, le fameux partage de la cordée…

En tout cas nos orteils s'en rappeleront bien et pendant quelques semaines...

Nous continuons à monter mais nous avons bien l’impression d’être un peu trop à droite et nous recherchons un passage qui puisse nous faire traverser pour rejoindre l’axe du couloir sans redescendre.

Mais cette traversée foireuse ne nous inspire pas du tout.  Nous voyons alors sortir une tête connue de l’autre côté du couloir 100m en face, et s’en suit à peu près, la discussion suivante :

-Hello, how are you ?

-Oui Oui moi aussi !

-Are you come from the Verte ?

-Euh…Non non on visite le secteur !

-Ah OK good et il y a du terrain à vendre around here ?

-Non, mais c’est has been d’arriver au sommet avec les premiers rayons de lumières…

-Ah ok good, we will try to climb the Grande Rocheuse, mais it’s seem to be pas facile!

-Good, allez see you later !

 

Nous voilà donc parti pour redescendre quelques centaines de mètres en neige dur, c’est parce qu’on trouvait que 600m c’était surement trop court et que nos mollets n’étaient pas encore assez chauds…

Une fois dans l’axe du col de la Grande Rocheuse ? c’est là que notre super acclimatation peut enfin jouer. Ou pas …Poitiers- col de la Grande Rocheuse en 24 heures, ce n’est sûrement pas l’idéal…mais quand on sait le créneau court alors il ne faut pas rester au bistrot…

À partir de 4000m c’est de 20 pas en 20 pas que l’on avance. Pas plus et une pause s'impose. Aucun de nous ne galope à cette altitude et c’est bien cuit que l’on débouche enfin sur ce fameux col, cuit mais heureux.

 

La vue du sommet proche nous rassure. Je m’inquiète un peu cependant de l’acuité visuelle de mon compagnon, qui lui fait dire que le sommet se situe encore à plus d'1h. Il parait que les hallucinations peuvent commencer dès 4000m…

Nous ne mettrons qu’une dizaine de minutes pour fouler cette si belle cime arrondie, tant rêvée.

On peut laisser la plume à Gaston Rébuffat , dans sa bible des 100 plus belles courses :

« Verte-Whymper, deux noms prestigieux. La Verte est un grand sommet par son altitude, son allure. Aucune voie, pour en atteindre la cime n’est facile ; A la Verte, on devient montagnard. »

Ça y est, nous voilà enfin des Montagnards ! C’est bien ému que nous profitons de ces instants seuls au sommet. La vue sur la sortie du couloir Couturier est impressionnante, tout comme celle sur le bassin d’Argentière ou sur les grandes Jorasses.

Forcément, nous pensons à nos compagnons de cordée, trop tôt disparus…

Nous sommes le 21 Avril en plus ….

 

Dans son livre, Gaston y raconte une de ses ascensions par le couloir Whymper en solo. Un texte qui résonne particulièrement:

C’était un belle course et une profonde prise de conscience. Nous tenions tous la forme ; dès lors la fatigue ne vient pas, l’ascension est une question de technique et de lucidité : bien cramponner . Cela se fait tout seul mais, bien sûr, au milieu de cette belle ambiance , il ne faut pas , une seconde , un millionième de seconde, rêver, être absent. Rêver c’est pour plus haut…

 

Au sommet, nous n’avons bien sûr fait que la moitié de la course, il nous reste alors la quinzaine de rappels. Ils s’enchaîneront de manière efficace, avec deux brins de 60m entre chaque relais, ca passe bien.

Forcément, nous pensons à la précédente cordée du CAF Angoumois qui eut l’idée brillante de faire ces rappels avec un brin de rappel en 6mm un peu trop souple et avec un demi-cabestan…Forcément, Jérém' et Wiwi devaient un peu moins rigoler !

 

Nous étions seuls à la montée, seuls au sommet et seuls à la descente. Conditions idéales. 

Nous ne traînons pas sur le retour car nous avons un impératif horaire : le dernier train du Montenvers à 17h. Mais nous ne connaissons pas l’horaire de la dernière cabine qui remonte de la mer de glace …on parie sur 16h30… C’est déjà bien fatigué que nous quittons la mer de glace à 16h32 pour prendre pied sur les escaliers qu'il reste encore à remonter. Un panneau indique 30min pour rejoindre les cabines d’en bas…

Au loin le haut-parleur résonne : hep vous là-bas, les 2 avec les sacs à dos, vous êtes les derniers ! on vous attend 2 minutes pas plus,  alors bougez-vous !

Fourbus nous étions déjà et nous nous serions bien passés de ce dernier marathon de plusieurs centaine de marches.

Dégoulinant, cuitas, HS...nous entrons dans la dernière cabine à 16h40 en les remerciant...

 

À bah fallait nous le dire que vous veniez de la Verte, on vous aurait attendu plus longtemps !

 

 

 

NDLR : Le froid ayant réduit à néant la batterie du téléphone/appareil photo lors de l’ascension, un contributeur d’un forum bien connu a gentiment accepté que nous illustrions une partie de ce carnet de route avec ses très belles photos, prises quelques jours après notre ascension. Merci Pierpp.

CLUB ALPIN FRANCAIS ANGOUMOIS
SIÈGE SOCIAL: HALLE DES SPORTS
DE MA CAMPAGNE
41 RUE DE LA CROIX LANAUVE
16000  ANGOULEME
Activités du club