Carnet de route

L'Aigle va fondre sur la vieille balise*

Le 05/12/2023 par Lionel FERRE

Harassés par leur travail dans les forges de la Touvre, abrutis par le bruit des machines de chez Leroy, stressés d’une semaine face à leurs élèves ou encore cassés et voûtés par le travail des vignes - ce trésor charentais, on leur a promis du vin chaud et quelques mets roboratifs... Il est 16h16 ce samedi 2 décembre, la nuit tombe doucement sur Torsac, son cimetière, son château, sa rivière et sa zone humide et grise.

Vêtus de hardes multicolores souvent moulantes, emmitouflés sous 4 ou 5 épaisseurs, certains ont même rajouté du scotch sur leurs souliers crantés, 78 âmes rangés par 2 ou 3, presque en silence, se tassent dans la cour de l’école balayée par le terrible vent du nord attendant le précieux sésame, un doigt électronique qu’ils devront insérer dans un petit boitier accouplé à une sorte de fanion blanc et orange réfléchissant accroché et caché en pleine nature autour de Andole la Petite, sa forêt impénétrable, ses murets, ses jonctions de talus, ses dépressions, son laurier rose.

Les plus faibles seront avancés en voiture jusqu’à Andole et n’auront que 25 balises à trouver. Les plus courageux auront jusqu’à 30 balises et certains vont s’approcher très près du but.

Par vagues successives (2 ou 3 orienteurs, c’est le petit nom qu’ils se donnent entre eux), on les laisse s’enfoncer dans la campagne parfois hostile ; sur les réseaux, certains ont annoncés qu’une meute de loups russes affamés avaient été spécialement lâchés dans la commune pour l’occasion.

Pour relever ce défi, ils sont armés d’une carte au dix millième (1 cm sur la carte 100 m sur terrain), fragile feuille A4 avec quelques taches de couleur (pauvres daltoniens, certains cherchent toujours les parties orange) sans parler du blanc qui devrait être plutôt vert (un débat de spécialistes) parcourues de longs traits et ponctuées de petits ronds noirs, le tout à la lueur de leur bougie de front à Led (frontale). Les plus expérimentés ont une grosse bougie et même parfois deux.

Des cris percent l’obscurité, le ciel clair et le froid enserrent leurs griffes sur ses quelques hectares de verdure balayés par le vent ; ils transpirent, s’agitent, jurent ; les pieds glissent, les lampes scintillent, les branches cassent, les ronces déchirent, le sang coule même parfois.

Durant les 2h30 d’errance allouées à chaque binôme, Andole n’aura pas de répit.

Tous rentrés à l’heure ou presque, les pauvres diables vont enfin pouvoir se jeter sur l’éthanol bouillant et se goinfrer, pour certains ce sera l’unique repas de la soirée.

*L’aigle va fondre sur la vieille buse (Bernard Blier dans « Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages »)

NB :

Lien vers vidéo des parcours des équipes Thomas-Sébastien et Pascale-Didier